Avant-propos
Pour être tout à fait exact, c'est plutôt à travers le parcours de Mark Knopfler ( jusqu'à son premier album solo) que cette chronique va tenter humblement de vous narrer l'histoire de Dire Straits.
L'entreprise est périlleuse. Aucune autobiographie n'existe à ce jour, Mark se refusant toujours à l'exercice (peut-être dû à sa modestie maladive). Néanmoins, il existe le livre autorisé de Mike Oldfield, référence en la matière : "Dire Straits" (1984). Plus récemment, le bassiste historique John Illsley a sorti l'ouvrage "My Life In Dire Straits" (2021).
Malgré tout, il est difficile de garantir toujours l'exactitude des informations. Tout est ainsi sujet à des interprétations. Mark, peu bavard, tend même à brouiller les pistes et feint parfois de ne plus se souvenir.
Introduction
Au début des années 90, Mark Knopfler décide de mettre un terme à son groupe Dire Straits à la fin de leur dernière tournée, en disant qu'il ne veut plus en entendre parler avant au moins dix ans.
Il est vrai que le sixième et dernier album studio On Every Street, sorti en 1991, n'a pas réussi à égaler son prédécesseur Brothers in arms, plus grand succès du groupe et l'un des albums les plus vendus au monde.
Mais c'est surtout cette tournée gigantesque, démesurée qui précipite la fin de l'aventure. Lors de ce On Every Street Tour, Mark Knopfler s'est senti totalement dépassé par cette immense et effroyable machine, avec cette pression médiatique constante et surtout l'absence de relations humaines...Il se plaint de ne pas connaître toute l'équipe technique devenue bien trop grande à ses yeux et il ne supporte plus de voir sa musique offerte en pâture. Une tournée qui aura duré deux ans avec plus de 200 concerts. Se sentant excédé et éreinté, le cœur n'y est plus et il sait qu'il mettra un coup d'arrêt définitif à son groupe. Ce sera bien la der des der ! Ses relations personnelles s'en ressentent et son mariage d'avec Lourdes Salomone (épousé en 1983) n'y résistera pas. Leur manager de l'époque finissant même par avouer que "la tournée était une misère totale"... Dire Straits cessera d'exister. Et cette fois-ci, pour de bon. La fin d'une folle aventure commencée en 1977 et qui verra ce petit groupe de Pubs devenir l'un des plus grands du rock des années 1980. Ce sera pour son leader le début d'une carrière solo des plus réussies. Il en résultera une oeuvre plus intime, où son immense talent de songwriter s'affirmera un peu plus encore.
Origines
Mark est donc né en 1949 à Glasgow d'une mère anglaise, Louisa Mary, et d'un père hongrois, Erwin Knopfler, architecte contraint de fuir le régime nazi.
Mark fréquente l'école primaire de Bearsden en Écosse pendant deux ans. Il sera le seul des frères, les deux autres le feront à Newcastle. Il a contact très tôt avec la musique : Dès ses six ans, quand il entend pour la première fois le chanteur et guitariste écossais Lonnie Donnegan. Il grandit ensuite à Blyth (ville natale de sa mère ) près de Newcastle en Angleterre, dès l'âge de 7 ans. Attiré à l'origine par l'harmonica et le piano de son oncle Kingsley, Mark se familiarise rapidement avec de nombreux styles de musique différents. Son oncle se charge d'entretenir cette flamme, en l'initiant à quelques morceaux de boogie-woogie. "J’étais fou d’Elvis. Puis, les Shadows sont arrivés, ainsi que tout le reste. Vers 14 ans, je me suis branché sur le blues. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de concrétiser mes rêves. J’ai commencé à harceler mon père pour qu’il m’achète une guitare. Tous les soirs, c’était ma rengaine : je veux une guitare, je veux une guitare, je veux une guitare… À quinze ans, j’ai eu mon instrument." Il voulait une coûteuse guitare électrique Fender Stratocaster Fiesta Red comme celle de Hank Marvin. Il n'aura qu'une Höfner Super Solid à deux micros de 50 £, plus conforme aux revenus modestes de la famille.
"J’ai économisé un peu. Mais mon père en avait vraiment marre de m’entendre geindre pour cette satanée guitare. Tous les soirs, je lui montrais des catalogues. Je voulais absolument une guitare électrique rouge, je l’ai obtenue, mais je n’avais pas encore d’ampli. C’est comme ça que j’ai explosé le poste de radio familial. J’ai dû attendre quelques mois avant de pouvoir brancher ma copie rouge de Strato sur un véritable ampli."
Le logo de Dire Straits viendra d'ailleurs de ce clin d’œil au passé. "J’avais tant rêvé d’une Fender-Strato. Pour mes copains et moi, c’était vraiment le mirage. On était comme les mecs qui salivent les vitrines des magasins d’autos, sauf qu’on bandait sur une Gibson au lieu d’une « Type E ». Comme on ne pouvait pas se payer les instruments, on dévalisait les présentoirs de catalogues. Maigre consolation !"
En 1964, i se lance dans des formations scolaires ou groupes locaux comme les Rock Machine. Il écoute les guitaristes Chet Atkins, Scotty Moore, B.B King, Django Reinhardt, Hank Marvin et James Burton. Mark Knopfler apprend, s'inspire de ces guitaristes.
À seize ans, en 1965, il fait une apparition à la télévision locale , une guitare à la main, dans un duo avec sa camarade de classe Sue Hercombe.
En 1968, après de brèves études de journalisme au Technical College de Harlow pendant un an, Knopfler est engagé comme jeune reporter à Leeds pour le Yorkshire Evening Post. Pendant cette période, il fait la connaissance d'un restaurateur de meubles local, passionné de country blues, et musicien à temps partiel, Steve Phillips, d'un an son aîné, dont la collection de disques et le style de guitare ont permis à Knopfler d'acquérir une bonne connaissance des premiers artistes de blues et de leurs styles ; les deux hommes ont ensuite formé un duo appelé " The Duolian String Pickers ", qui s'est produit dans des salles locales de folk et de blues acoustique. Deux ans plus tard, il décide de poursuivre ses études et obtient un diplôme d'anglais à l'université de Leeds. En avril 1970, Knopfler enregistre une démo d'une chanson originale qu'il a écrite, "Summer's Coming My Way". L'enregistrement comprenait Knopfler (guitare et chant), Steve Phillips (deuxième guitare), Dave Johnson (basse) et Paul Granger (percussions). Johnson, Granger et le chanteur Mick Dewhirst ont joué avec Knopfler dans un groupe appelé Silverheels ; Phillips rejoindra plus tard Knopfler au sein des The Notting Hillbillies. Une annonce dans le Melody Maker l'amène à rejoindre Londres et à passer une audition pour les Brewers Droop, un groupe de pub rock apparaissant sur l'album de The Booze Brothers. Il y reste peu de temps (deux mois) mais croise la route de Pick Withers (futur batteur de Dire Straits). Un soir, alors qu'il passait du temps avec des amis, la seule guitare disponible était une vieille acoustique avec un manche très déformé qui avait été cordée avec des cordes extra légères pour la rendre utilisable. Malgré cela, il est impossible d'en jouer, à moins de la taper avec les doigts. Mark dira plus tard dans une interview : "C'est là que j'ai trouvé ma "voix" à la guitare". Il s'inspire ainsi des Bluesmen qui ont inventé le "Finger Picking", popularisé plus tard par Chet Atkins (que nous évoquerons plus bas). Mark a déjà commencé aussi à jouer les notes deux par deux. "Des fois, je joue trois cordes en même temps, la 2ème, la 3ème et la 4ème. C’est mon style. À mon avis, la meilleure manière de jouer. Il faut aussi y mettre du feeling, bien entendu." Le style Knopfler commence à prendre forme.
Débuts
Après ce bref passage chez les Brewers Droop, Knopfler accepte un poste de professeur conférencier au Loughton College dans l'Essex, poste qu'il occupe pendant trois ans. Cela lui permet de continuer à jouer de la musique le soir dans les pubs avec des groupes locaux.
En avril 1977, après un divorce et des difficultés financières, Mark quitte son appartement de Buckhurst Hill pour emmenager, toujours à Londres, dans l'appartement de son frère David qui occupe un poste de travailleur social. Ce dernier partage les lieux avec John Illsley, un guitariste qui se reconvertit à la basse. Les trois commencent à jouer de la musique ensemble, et bientôt Mark invite John à les rejoindre pour former les Café Racers, plutôt orienté rockabilly et qui s'appuiera sur les compositions de Mark pour démarrer. Le batteur Pick Withers les rejoint également. Ils font des concerts dans les pubs, quelques petits festivals punks.
Sur la photo ci-dessous, de gauche à droite : Pick Withers, John Illsley, Mark et David Knopfler - commençant à répéter à la Farrer House de Deptfort
Dire Straits donnant son premier concert (en tant que Café Racers), en plein air, dans le cadre du festival Crossfields. Le set comprend 'Sultans Of Swing', 'Down To The Waterline', et 'Southbound Again', ainsi que des reprises de chansons de Ry Cooder et Brenda Lee.
Malgré un talent déjà perceptible, le groupe a du mal à percer, et à joindre les deux bouts sans toutefois tomber dans la misère. A l'été 1977, leurs débuts difficiles inspirent Brinsley Schwarz, un ami de Mark, qui leur propose, avec ironie, de s'appeler Dire Straits, d'une expression "To be in dire straits" qu'on pourrait traduire par "être dans la dêche" ou "être raide fauché" démontrant leurs difficultés, les moyens très limités dont ils disposaient alors. Le groupe le prend au mot. Dire Straits est né. Ils commencent à se forger une petite réputation en jouant, notamment, dans des universités.
Toujours à la recherche d'un contrat d'enregistrement, le groupe réussit ensuite à rassembler difficilement la somme de 120 livres sterling afin de pouvoir enregistrer une maquette. Ce sera chose faite, le 27 juillet où il réserve un petit studio huit pistes. Y figure 5 titres dont 4 composés par Mark (et une autre de son frère).Toujours à la recherche d'un contrat d'enregistrement, Dire Straits réserve en juillet 77 un petit studio huit pistes.
"On avait fait une maquette, Pick le batteur, Johnny le bassiste, mon frère et moi. 5 chansons enregistrées en un week- end. On l’a envoyée à Charlie Gillett, un fameux DJ de Radio London en lui demandant la marche a suivre pour contacter une maison de disques. Sa réponse n’a pas tardé… il a carrément diffusé la bande demo dans son show."
En effet, un dimanche, l'animateur Charlie Gillett va diffuser notamment “Sultans of swing” pendant que les membres du groupe aident un de leurs amis pour son déménagement. Ils ratent ainsi les diffusions de leurs titres.
De nombreux auditeurs sont alors charmés et plusieurs maisons de disques contactent la station de radio dans les minutes qui suivent.
"C’était une manière de s’imposer au public de Londres. À partir de ce moment, les gens sont venus vers nous. Les propositions se sont succédées, on n’avait plus qu’à choisir."
Le groupe finira par choisir le plus offrant, Phonogram qui leur propose de produire trois albums. De quoi entrevoir l'avenir avec sérénité.
Charlie Gillett (en photo ci-dessous) aimait tellement Sultans of Swing qu’il le passait plusieurs fois, tous les soirs…
Dire Straits, 1977
Ed Bicknell devient, début décembre, le manager officiel de Dire Straits, sur proposition de John Stainze, directeur A & R de Phonogram., une division Vertigo qui gère le contrat du groupe. Ils enregistreront aussi d'autres démos, à nouveau pour Radio London.
"Je crois surtout que le Straits a son propre son. On n’a rien à envier à qui que ce soit. Ce son, on l’a obtenu à force de bosser, de répéter des nuits entières, des nuits où je finissais par être si crevé que je m’endormais sur ma guitare. "
L'enregistrement de leur premier album s'effectue en 1978. Il est produit par Muff Winwood, le frère de Stevie. Et, lors de sa sortie initiale, l'album a reçu peu de publicité au Royaume-Uni, mais lorsque Sultans of Swing est sorti en tant que single, il est devenu un hit aux Pays-Bas et les ventes de l'album ont décollé - d'abord en Europe, puis aux États-Unis et au Canada, et enfin au Royaume-Uni où un comité radio avait décrété que la chanson Sultans of Swing était trop longue et contenait trop de mots...
Mais que serait devenu Dire Straits sans Sultans of swing, leur premier succès ? Arrêtons-nous un instant sur les origines de ce titre culte. Un soir, alors qu'il pleut des cordes, Mark décide de s'abriter dans un Pub. Un groupe de jazz amateur est en train de jouer, avec les moyens du bord ou plutôt à vrai dire pas grand chose. A la fin de leur set, leur leader les présente "Nous sommes les sultans du swing". Ce qui fait immédiatement rire Mark. Parce que de "sultan", ils n’en font guère la représentation. Au final, Mark racontera l'histoire d’un petit groupe de jazz amateur qui souhaite simplement jouer leur musique dans un Pub de Londres, et qui s'en fiche de la célébrité . Un des musiciens évoqués dans les paroles (Guitar George) est en réalité le musicien George Young, frère des guitaristes Angus Young et Malcolm Young.
Dire Straits est le titre éponyme du premier album. Mark y signe tous les titres (la composition de son frère ayant été retirée). Il est ainsi à la fois l'auteur, compositeur, interprète, arrangeur et guitariste principal. Le style Pub Rock, les influences Blues et Country, sont pourtant à contre courant de tout ce qui se fait à l'époque, où les tendances à la mode sont le punk, le funk et le disco sans compter les groupes au gros son comme Boston, America, Chicago.
En 1978, Dire Straits ouvre pour Talking Heads, avant d'entreprendre, un an plus tard , une tournée nord-américaine de 51 concerts en 38 jours.
Sept chansons ont été enregistrées dans les studios de la BBC à Londres au cours de l'émission 'Live in Concert' du 22 juillet 1978 (entre la sortie des deux premiers albums du groupe). Un album Live qui sera connu sous le nom de Live at BBC. La chanson Tunnel of Love a été enregistrée lors de l'émission TV de la BBC The Old Grey Whistle Test le 31 janvier 1981. Cet album est en fait le fruit d'une négociation, le groupe devait encore un album à Mercury. Mark Knopfler a autorisé la publication de ces archives de la BBC afin de solder le contrat et se concentrer sur sa carrière solo. Live at the BBC sortira en 1995.
Il comporte une seul pièce inédite, What's The Matter Baby?, écrite en duo par Mark et son frère David Knopfler, c'est la seule chanson écrite par les deux musiciens.
1979, c'est un deuxième album qui est le prolongement logique du premier, à l'image du single lady Writer qui ressemble à Sultans of swing.
"Un soir, je regardais la TV et on interviewait une femme auteur. Elle n’arrêtait pas de se faire de la pub. On pouvait le lire sur son visage, le son était coupé. Pour « Once Upon a Time in the West », c’est pareil. Je l’ai composée en regardant le film de Sergio Leone sur mon écran."
L'album se classe en onzième position des charts US. Le disque plaît à Bob Dylan (idole de Mark) qui, impressionné, l'invite aux enregistrements de son album.
"Dire Straits a joué au Roxy Theater ,sur Sunset Blvd à LA. Bob était à une table au milieu du public… mais je dois reconnaitre que Jerry (Wexler) n’est pas étranger à l’affaire. Bob lui avait demandé de produire son album avec Barry (Beckett) et ils venaient juste de finir le mien." Malgré cela, certaines critiques fusent : Les chansons ressemblent à de pâles imitations, une copie carbone de son prédécesseur avec des morceaux moins convaincants...
Virage Rock Le groupe décide d'évoluer et va désormais jouer des compositions et arrangements plus complexes. En 1980, arrive Making movies, enregistré à New York, qui marquera un virage plus Rock, avec des chansons plus énergiques. C'est le rêve américain de Mark.
"J’adore le cinéma. D’ailleurs, si le dernier album s’appelle « Making Movies », ça n’est pas un hasard, c’est que je suis un frustré de la caméra. Tout ce qui fait ton champ de vision, tout ce qui t’entoure est un vaste écran de cinéma. La musique, c’est la bande originale du film de la vie. "
Il a contacté Jimmy Iovine après avoir entendu la production de ce dernier sur la chanson " Because the Night " de Patti Smith - une chanson coécrite par Smith et Bruce Springsteen. Lovine avait également travaillé sur les albums Born to Run et Darkness on the Edge of Town de Springsteen. Lovine contribue à recruter le claviériste de l'E-Street Band, Roy Bittan, pour les sessions de Making Movies. Et tous les titres inclueront d'ailleurs des claviers. Mark présentera l'album comme un "Rock’n’roll orchestra". Son E-Street Band à lui. Ce nouveau projet, Mark le souhaite plus brutal. Il s'agit pour lui aussi d'essayer de transposer la fièvre qui se dégage de leurs concerts, et qui ne se ressent que très rarement sur leurs précédents albums. D'excellentes critiques s'en suivent dont celle-ci : "Si Making Movies était vraiment un film, il pourrait remporter une flopée d'Oscars". Il marque aussi un autre tournant avec le départ de son frère David pendant les sessions d'enregistrement : "J'ai quitté Dire Straits pour les mêmes raisons que celles qui animent tous ceux qui quittent leur emploi, au motif de ne plus y trouver matière à satisfaction, motivation et espoir. Je ne me voyais pas passer le reste de ma vie à vivre dans les rêves de quelqu'un d'autre. Malgré les regrets que j'en ai éprouvés, je me suis toujours senti à l'aise avec cette décision et j'ai pu ainsi réaliser un tas de choses qui n'auraient pas été possibles autrement." Par ces propos, on peut deviner que Mark s'est véritablement approprié Dire Straits. Il faut dire aussi que Mark en est désormais aussi le co-producteur.
Romeo and Juliet, un titre qui deviendra un must dans tous ses concerts. Il fait bien sûr écho à l'ouvrage de Shakespeare. C'est une ballade romantique qui évoque un coup de foudre, un amour impossible. Le sien, en l'occurrence, pour une américaine, Holly Beth Vincent, chanteuse du groupe Holly and the Italians. Ils s'étaient rencontrés au début des années 70 alors que Mark avait répondu à une petite annonce indiquant qu'un groupe chercher un chanteur. Mark s'était alors pris un refus pour l'intégrer. Mais le coup de foudre est immédiat. Au début des années 80, leur idylle se concrétise enfin, à une époque Mark commence à jouir d'une certaine notoriété. Leur relation sera compliquée. En cause, les nombreux déplacements de Mark et celles de sa dulcinée. Holly finira par le quitter. Une rupture sentimentale qui lui engendrera une dépression... L'intro de Romeo And Juliet, jouée sur une guitare National style "O", deviendra mondialement célèbre. Tout comme la guitare qui deviendra un des emblèmes du groupe, jusqu'à figurer plus tard sur la couverture de l'album Brothers in arms.
Il y a Tunnel of love, qui dure plus de 8 minutes. Un titre exaltant et lyrique. Il fait allusion à l'adolescence, aux amours de jeunesse, aux rêves d'enfant. Les paroles font quelques références à la Spanish City, une fête foraine à Newcastle bien connue des frères Knopfler dans leur enfance. Ce titre est, à présent joué tous les jours à son ouverture. Solid Rock est le titre qui affirme, musicalement, le virage rock de l'album. Expresso Love est la conséquence de sa rupture avec Holly Vincent, tout comme Roméo & Juliet. En 1980, Mark Knopfler est en dépression suite à cette rupture. Il écrit des paroles désespérées avec le titre Suicide Towers (qui ne verra jamais le jour). Il en restera le riff que l'on pourra trouver sur Expresso Love. Et les paroles vont changé et devenir empreints de cynisme. Mark déclare ne vouloir que des aventures d'un soir, juste un amour express, et refusant toute une relation durable.
Enfin, Les Boys clôture le disque : "Même si l’atmosphère est proche de celle de « Cabaret », c’est une histoire vraie. Nous étions descendus au Hilton de Munich, une tour de verre plantée au milieu de la ville. Je me suis retrouvé au bar du dernier étage ; dans ce bar disco jouaient Les Boys. Après une tournée de 200 concerts en moins de deux ans, on a le droit d’être crevé et on peut s’offrir un remontant. Un serveur algérien nous portait verre sur verre. Le DJ était anglais. J’ai réalisé que tous ces gens, comme nous, bossaient dur et je me suis soudain senti très proche d’eux. Je pouvais ressentir exactement tout ce qui se passait dans leurs têtes. Les Boys avaient un numéro de travestis qui était assez mauvais. Mais, je conserve pourtant un super souvenir de la soirée."
Son atmosphérique
Après la fin de la tournée On Location en 1981, Mark Knopfler écrit déjà les chansons pour le prochain album de Dire Straits. Il s'agira de Love Over Gold et, pour la première fois, il en sera intégralement le producteur.
Le son change de façon spectaculaire. Une ambiance qui n'a plus rien à voir avec le Rock US de Making Movies.
Roy Bittan est remplacé par Alan Clark aux claviers tandis que le guitariste californien Hal Lindes fait son arrivée. L'album est enregistré à New York avec Neil Dorfsman comme ingénieur du son - la première d'une longue série de collaborations entre les deux hommes. Sorti en 1982, c'est un album à part dans sa conception. Il ne contient que 5 titres mais dure au total 40 minutes. Il est considéré comme un des meilleurs du groupe, du point de vue technique et artistique. Knopfler privilégie les claviers au détriment de la ligne claire de guitare habituelle. Il se distingue, entre autres par les longueurs des passages instrumentaux.L'album connaîtra le succès dans le monde entier.
Le chef-d'œuvre "Telegraph Road" et ses 14 minutes. Il se rapproche du rock progressif. Mark Knopfler indique dans une interview en 1993 qu'il a eu l'idée de la chanson, courant novembre 1980 alors qu'il roulait sur la route appelée Telegraph Road près de Détroit à l'avant d'un bus, en lisant la nouvelle Growth of the soil du prix Nobel norvégien Knut Hamsun. La juxtaposition des deux l'a inspiré à écrire une métaphore sur les changements liés au développement le long de cette route, et le contraste avec la désillusion liée au chômage. Il précisera : " Cette fresque raconte comment un homme part s'établir dans les contrées nordiques inhospitalières, loin de la révolution industrielle qui est en train de gagner la Norvège. L'intention de départ - travail du sol - mode de vie rude et traditionnel - donne peu à peu naissance à une communauté avant que ce monde isolé ne soit rattrapé par la civilisation et le progrès en marche. C'est exactement le récit de "Telegraph Road", transporté dans le contexte de la colonisation de l’Amérique. "
Après un solo de guitare, un pont fait la transition vers une partie de claviers similaire à l'introduction, suivi d'un lent solo de guitare. Suivent deux nouveaux couplets, et le thème est joué une dernière fois, suivi d'un riff de guitare d'environ cinq minutes se terminant par un decrescendo.
Le single Private Investigations accédera aussi à la postérité tant il sera repris dans tous les médias (le morceau sera longtemps le thème musical de publicités). Il est sorti comme premier single de l'album en Europe. Numéro 2 au Royaume-Uni, malgré sa longueur de presque sept minutes, et premier single de Dire Straits au Royaume-Uni à atteindre le top 5. Plusieurs chansons ont été écrites et enregistrées pendant les sessions de Love Over Gold, mais n'ont pas été publiées sur l'album. "Private Dancer" était initialement prévue pour l'album, avec toutes les pistes enregistrées, sauf celle du chant. Knopfler a décidé qu'une voix féminine serait plus appropriée et a confié la chanson à Tina Turner pour son album de retour, Private Dancer. Un autre titre, "The Way It Always Starts" a fini sur la bande originale du film Local Hero de Knopfler(que cette chronique évoquera plus bas), avec une voix chantée par Gerry Rafferty . "Badges, Posters, Stickers and T-Shirts" a été enlevé de l'album et ensuite, notamment, sorti aux États-Unis en tant que deuxième morceau sur le EP ExtendedancEPlay.
S'ensuit une tournée de huit mois, Love over Gold Tour, qui se termine par deux concerts à guichets fermés au Hammersmith Odeon de Londres les 22 et 23 juillet 1983. En mars 1984 sort le cultissime double album Alchemy Live, qui documente les enregistrements de ces deux derniers concerts. Il atteint la troisième place des Charts UK Albums. On y découvre un Mark au sommet de son art, justifiant pleinement son statut de Guitar hero.
En 1983, sort l'EP ExtendedancEPlay avec un feeling Rock and roll, jazz et swing. Ces quatre chansons proviennent des sessions de "Making Movies". Il s'agit du premier disque du groupe à présenter le batteur Terry Williams, qui a remplacé Pick Withers après que ce dernier ait quitté le groupe en août 1982.
Parenthèses enchantées
Mark s'est émancipé à plusieurs reprises de son groupe, le temps de composer quelques musiques de films. Cela commence, en 1983, sur le long métrage de Bill Forsyth : Local Hero. Mark redécouvre alors les racines celtiques, les influences folkloriques de son enfance. Il se gardera bien de les inclure à Dire Straits, peu propice à l'exercice, et les transposera uniquement dans ses bandes originales. La réussite de cet album tient aussi par la présence du claviériste de Dire Straits, Alan Clark, ainsi que d'autres musiciens (Steve Jordan, Michael Brecker, Tony Levin, Gerry Rafferty au chant...). Le film, quant à lui, est une petite perle.
A noter que Mark se servira plus tard du thème "Going Home" pour clôturer ses concerts en solo. Une adaptation en comédie musicale, dont il écrit les paroles et la musique, verra le jour en 2019 où La Première s'est déroulée à Édimbourg.
Mark retrouve le plaisir de composer pour un film dès l'année suivante, en 1984. Il s'agira de CAL. Mark peut se replonger bien plus encore dans ses racines et laisser totalement libre cours à son inspiration celtique. Il s'entoure à présent de Guy Fletcher, jeune claviériste ayant joué sur la tournée de Roxy Music en 1982. Ils sont devenus complices et Alan Clark en fait donc les frais. Des musiciens irlandais viennent prêter main forte. Guitare acoustique, flûte et cornemuse sont de la partie, sur de magnifiques compositions. Un chef d'oeuvre qui donne un sentiment de liberté. Puis Comfort and Joy, par le réalisateur de Local hero. La musique fut composée en même que Cal, toujours avec la complicité de Guy Fletcher qui apparaît plus présent encore. On y retrouve essentiellement des compositions issues de l'album Love Over Gold comme "Private Investigations", "Telegraph Road" et "Love Over Gold".
D'autres bandes originales suivront Princess Bride (1987) ou Dernière sortie pour Brooklyn (Last Exit to Brooklyn, 1989) qui seront évoquées un peu plus tard dans cette chronique.
Ascension Laser
1985. L'avenir va bientôt leur réserver une ascension fulgurante,et le groupe va basculer dans un autre monde, quand sort le cinquième album Brothers in arms. Il arrive à point nommé, dans l'air du temps. Celui de la Radio FM bien sûr mais aussi de la promotion du Compact Disc (ou Disque Laser). C'est LE disque qui lancera le CD ! C'est la première fois qu'un album obtient la mention DDD. Cela indique qu'il a été entièrement traité numériquement de sa conception à sa réalisation. Ces trois lettres symbolisent pour chacune : L'enregistrement, le mixage, et le mastering.
Le groupe devient l'ambassadeur, le promoteur de cette nouvelle technologie. A la production se trouve Mark bien sûr mais aussi toujours l'incontournable ingénieur du son Neil Dorfsman qui a su remarquablement tirer profit du numérique en offrant une clarté, une qualité sonore jamais atteinte jusque là. La recherche de la perfection, du son absolu, c'est le mantra de cette époque . Sur les sessions, Mark est sur tous les fronts, peut-être plus encore que sur les précédents albums. Les mauvaises langues diront même qu'il s'agit de son premier album solo. Il va jusqu'à désavouer le batteur Terry Williams et fait rejouer toutes les parties de batterie par un musicien de studio Omar Hakim qui, à cette époque avait joué sur le premier album solo de Sting, et a aussi tourné avec lui. Dans une période où la New Wave est encore bien présente, les titres de l'album dénotent du paysage musical. Ils varient entre la Country, le Rock, le Folk et un peu le Jazz. De nombreuses chansons deviendront incontournables à la fois dans les concerts de Dire Straits et Knopfler en solo. Il y a d'abord So Far Away, une chanson Roots Rock qui devient, pour l'occasion, le premier single de l'histoire à sortir en CD.
Avec son intro légendaire, guitare saturée à la ZZ Top, le hit de l'album Money For Nothing qui est N°1 au Billboard, obtient un Grammy Award, dispose d'un clip qui est l'un des premiers à utiliser des images créées par ordinateur. Ce clip est aussi le premier à être diffuser sur la chaîne MTV Europe nouvellement créée. Il y a la participation Sting, qui chante les harmonies à certains moments tout au long du titre. Lorsqu'il chante « I want my MTv », on reconnait l'air du succès Don't stand so close to me de son ancien groupe The Police, ce qui lui vaut sa mention comme coauteur. Fin 1984, le groupe enregistre aux studios AIR de Montserrat aux Bahamas. Sting est alors en vacances à Montserrat au même moment, et Knopfler l’invite à venir chanter les chœurs sur ce titre. Sting improvise et cela donnera les « I want my MTv ».
Mark a composé la chanson dans un magasin d’électroménager à New York, après avoir entendu un des employés commenter les images de clips vidéos diffusés sur la chaîne MTV, qui tournaient en boucle sur les téléviseurs en vente. Cet employé se moquait, critiquait les rock stars “qui ne bossent pas” et gagnent de l’argent facile.
Puis Brothers in arms, cette chanson mélancolique écrite pendant la guerre des Malouines et décrite par certains comme une chanson anti-guerre, bien qu'il soit plus exact de dire qu'elle décrit l'expérience des soldats en temps de guerre et leur besoin de solidarité, qui, dans la dernière strophe, évoquent leurs "frères" de l'autre côté des tranchées. Un titre qui dénonce la folie de la guerre, inspiré par les paroles de son père : "Nous sommes fous de faire la guerre - A nos frères d'armes". Brothers in arms gagnera le grammy du meilleur clip.
Walk of Life (qui était déjà sur la face B de So Far Away), un titre avec un simple rythme rock and roll et qui devait être exclu de l'album. La longue introduction est devenue emblématique pour tous les fans, avec une mélodie immédiatement reconnaissable. Le clip vidéo original de la chanson créée pour le Royaume-Uni présente un musicien de rue vêtu du même chandail que Mark Knopfler, intercalé avec le groupe sur scène. Cependant, la version américaine de la vidéo, présentant des séquences de scènes sportives comiques à la place des scènes de musicien de rue a gagné en popularité, la première version a été en grande partie abandonnée.
L'album se vend à 30 millions d'exemplaires, devenant aussi le premier de l'histoire à dépasser le million de Compacts Discs vendus. Il remportera le Grammy Award du meilleur enregistrement studio en 1986 et gagnera le prix du Best British Album aux Brit Awards en 1987.
Beaucoup de fans à travers le monde découvrent ainsi Dire Straits avec cet album. C'est la gloire, la consécration, Dire Straits peut se targuer d'être sur le toit du monde et d'être considéré comme le plus grand groupe du monde, seulement sept ans après leur premier album. La tournée de Brothers in arms se lance, commence alors un star système digne d'Hollywood. Gérée par Philips, leur sponsor pour la promotion du CD, la tournée enchaîne les dates à un rythme effrénée, avec 248 concerts au total à travers le monde. Mark vit assez mal cette première méga tournée, se sentant dépassé par son envergure. Dans ces années 1980 marquées par l’avènement des guitar heroes, des grands groupes, des grands stades, on pouvait d'ailleurs observer un Mark Knopfler qui se démarquait par sa tranquillité et un certain détachement sur son rôle de superstar. On ne l'a même jamais vu dans des magazines people. Il sera surnommé « l’homme tranquille du rock ». Bien sûr, le succès ne lui déplaisait pas ! Mais, au diable la notoriété et, alors que Dire Straits est au sommet de sa gloire, il n'hésite pas à prendre du recul.... Mark pense que le groupe est devenu trop gros pour lui. Et puis son ami Sting l'a précédé en sortant son album solo en 1985, avant une sérapation officielle d'avec son groupe The Police qui aura lieu l'année suivante. Cependant, Mark attendra encore pour annoncer publiquement la dissolution. Nous sommes en 1987 et l'on peut considérer , avec le recul, que Mark a commencé lui aussi, en quelque sorte, une première carrière solo. Cette année-là, il y a la naissance de ces jumeaux Benji et Joseph mais Mark ne reste pas inactif pour autant et fera, par exemple, des piges comme guitariste rythmique de luxe sur les tournées d'Eric Clapton pendant deux ans jusqu'en 1989. Pendant cette période, il prend aussi le temps de composer quelques musiques de films comme le cultissime conte médiéval "Princess Bride" de Rob Reiner (adapté d'un livre de William Goodman) sorti en 1987. Mark a cette fois la délicate tâche de créer différentes ambiances qui collent à un film tour à tour romantique, comique, décalé, poétique, épique, virevoltant... Au final, une mission plus que réussie. La musique épouse parfaitement le film dans tous ses aspects et se relève tout simplement indissociable. Mark dirige à merveille ses compositions, distille tout en subtilité synthétiseur, cuivres et guitare acoustique. Le générique de fin "Story book love" est composé et interprété par Willy DeVille. Un titre que l'on trouve sur l'album de ce dernier ,aussi en 1987, et produit par Mark Knopfler.
Ensuite, il participe à l'élaboration d'autres albums comme celui de Randy Newman, contribue à la bande originale du film La couleur de l'argent, à l'album Break Every Rule de Tina Turner, ou bien Nothing Like The Sun de Sting, Save The Last Dance For Me de Ben E. King...
Il y aura même une reformation éphémère de Dire Straits pour un concert anti-apartheid, une prestation fabuleuse accompagnée par Eric Clapton, à l'occasion des 70 ans de Nelson Mandela en juin 1988. Quelques semaines après, en septembre, Mark annonce enfin la toute première dissolution du groupe. Cette année est également celle de la compilation Money For Nothing incluant des nouveaux mixages de Twisting By The Pool et Telegraph Road (Live). Ce sera le grand succès de cette fin d'année au Royaume uni avec 420000 exemplaires vendus. Signe que les fans sont toujours bien présents.
1989, c'est à nouveau une bande originale de film pour Last Exit To Brooklyn. Cet album est variable. Les synthétiseurs sont très présents, peut-être trop et marque la présence de Fletcher dans les thèmes instrumentaux. Mais la bande originale est peu présente dans le film. On retiendra La "Finale", et le violon joué par Irvine Arditti , à la Ennio Morricone. Ou le magnifique titre, "A Love Idea", joué au violon par David Nolan, avec son côté celtique. "Tralala", est un titre fun où l'on entend la Gretsch de Mark pour la seule et unique fois, accompagné de Chris White, saxophoniste de Dire Straits.
Come-back et clap de fin
Mark décide de s'offrir une respiration musicale. Un projet qui lui permettrait de se ressourcer. En 1990, il crée ainsi The Notting Hillbillies, un groupe de country rock. Le nom du groupe fait allusion au quartier de Londres où Mark habitait à l'époque Notting Hill Gate et à Hillbilly, un terme désignant des origines apalaches que l'on pourrait traduire en français par "plouc" ou "péquenaud", qui se définit en musique par le Hillbilly Boogie, genre musical traditionnel du sud des Etats-unis (très apprécié dans les années 30) par opposition au Rythm and Blues, la musique des noirs, avant que cette expression ne soit remplacé par Country à la fin des années quarante. Mark réunit donc trois de ses amis dont le chanteur Brendan Croker, le chanteur-guitariste Steve Philipps, le claviériste Guy Fletcher, et Ed Bricknell, manager de Dire Straits, à la batterie. Il en résultera la sortie d'un album enregistré en 18 mois au studio que Mark a installé chez lui : Missing...Presumed Having a Good Time (incluant un titre composé par Mark, Your Own Sweet Way). Voilà bien ce que souhaite Mark : Tout simplement passé du bon temps (having a good time) comme l'indique le titre de l'album...Oui mais, à son grand désarroi, l'album est salué par la critique et connaît immédiatement un succès phénoménal dès sa sortie ! Principalement composé de reprises traditionnelles et country, l'album aura 2 millions d'albums vendus, atteindra la 2e place des charts britanniques et aura un disque de platine en France. Après une tournée de 41 concerts en 43 jours, les membres décident, d'un commun accord, d'arrêter afin de ne pas reproduire l'épopée Dire Straits.
En 1990, Mark rejoint Chet Atkins à Nashville pour son album Neck and Neck. Là encore, un très gros succès dans les charts country. Cet album gagnera deux Grammy en 1991, le Grammy for Best Country Collaboration with Vocals et le Grammy for Best Country Instrumental Performance (pour So Soft Your Goodbye).
Au cours d’un dîner entre amis, Mark Knopfler parle de refaire un album à John Illsley qui s'en trouve fortement surpris ! Mark a plus que tout ce désir de créer de la musique, c'est tout ce qui l'intéresse. Et il semblerait qu'il ait déjà quelques compositions. Mark doit peut-être se dire que ce sera le dernier album du groupe si les choses tournaient mal. Un dernier baroud d'honneur. Et puis il a certainement gardé en lui quelques stigmates du milieu des eighties, ces années laser. En cette même année 1990, Mark reforme, pour la bonne cause, Dire Straits lors du concert évènement de Knebworth en faveur de la musicothérapie, et il annonce au cours du set : "nous allons faire un nouvel album" ! Mark a en effet composé pas moins de 15 titres pour Dire Straits qui n'attendent que d'être enregistrés mais la guerre du golfe retarde l'échéance. L'album était pourtant prévu pour une sortie en cours d'année. Mais ce n'est que partie remise. Avec un Dire Straits remodelé, l'enregistrement studio pourra quand même avoir lieu entre novembre 1990 et mai 1991, aux Studios Air de Londres.
En Août 1991, un premier single (ou 45 tours pour les anciens...) fait son apparition : Calling Elvis. La chanson a pour thème les fans d'Elvis Presley qui pensent qu'il est toujours en vie. Le single atteint le Top 10 dans de nombreux autres pays. L'album On Every Street suivra quelques semaines plus tard. Les critiques sont mitigées, considérant parfois l'album comme une pâle copie de Brothers in arms. Certes, On Every Street ne sera aussi populaire ni aussi réussi que son prédécesseur, mais se vendra tout de même à 15 millions d'exemplaires. Cet album se classera malgré tout à la première place des charts d'un grand nombre de pays européens, dont la France. Aux Etats-unis, il n'atteindra qu'une honorable 12e place du Billboard. De ce fait et au regard des attentes, on parlera quand même de l'album comme d'un semi-échec.
Août, c'est aussi la tournée qui commence à Dublin. Elle démarre fort, et ce sont de véritables shows où l'on y découvre un Mark énergique, survolté. Mais cette allégresse est vite remplacée par une lassitude. C'en est trop. Trop de pression, trop de médias, trop de dates, et une fois de plus, ce terrible manque d'humanité, bien pire que lors de la dernière tournée Brothers in Arms. Il est aux antipodes de ce qu'il aime, des structures à taille humaine. Il se sent perdu au milieu de ce cirque qui ne lui ressemble pas. Mark demande à écourter la tournée et il n'y aura plus que 212 dates au lieu des 300 prévues initialement. La tournée qui devait se prolonger jusqu'en 1993, s'achèvera finalement dès le 9 octobre 1992. Elle rassemblera tout de même plus de 3,5 millions de fans. En 1993 sort On The Night, le témoignage officiel de cette méga-tournée. L'album est contient des extraits des concerts à Rotterdam (du 29 mai au 1er juin 1992) et à Nîmes (du 19 au 21 mai - celui diffusé en direct à la télévision date du 29 septembre). A présent, Mark doit en avoir plus qu'assez. Fini le groupe mastodonte, les tournées pharaoniques, les concerts de stade, les énormes promotions et l'organisation colossale qu'entraîne la venue de Dire Straits... Et puis il faut se souvenir que Mark avait été marqué par la mort de John Lennon. Il déclarait en 1981 : "Les médias se défoncent comme des fous pour essayer de nous faire croire à tout ce cirque. Okay, la plupart des gens se retournent dans la rue pour dire « Hé… mais c’est Johnny, le guitariste », mais ça ne va guère plus loin. C’est ce qui a tué John Lennon, la machinerie aveugle du showbiz. Je crois que de toute façon, la faute incombe aux magazines, à la radio et à la TV. On nous vend comme de la vulgaire lessive. C’est ce qu’a fait Epstein avec les Beatles, Malcolm Mc Laren avec les Sex Pistols: créer une mania de toutes pièces. Et les médias avides avalent et recrachent n’importe quoi. l’image qu’ils ont du succès est une caricature. Regarde les disques d’or… s’ils étaient en bois, est-ce que l’on s’exciterait autant. Ça n’est que du business. Je ne me plains pas, mais quand je vois un Lennon bouffé par ce système, je ne peux pas m’empêcher de trouver cela injuste. Personne ne s’élève contre le système parce qu’on nous fait taire avec de beaux gadgets. Tous leurs trucs qui brillent, moi, je n’en ai pas besoin. D’ailleurs, personne n’en a besoin." Par la suite, on ne verra le groupe se reformer que très rarement, pour quelques événements, des concerts de charité, notamment avec le guitariste Eric Clapton une fois de plus. Et depuis la dissolution de Dire Straits en 1993, Knopfler n'a plus jamais voulu entendre parler d'une éventuelle reformation. Pour l'anecdote, la toute dernière fois où se sont réunis d'ex-membres de Dire Straits, c'était lors du mariage de John Illsley (bassiste du groupe) le 19 juin 1999. Mark faisait partie des invités et a joué pour l'occasion avec ses anciens compères Guy Fletcher, Alan Clark, Ed Bicknell (qui assurait la batterie) et bien sûr le marié John. Chris White (saxophoniste) étant présent sans pouvoir les rejoindre sur scène faute d'avoir amené son instrument. Au total, 5 chansons furent jouées (Walk of Life, Sultans of Swing, Money for Nothing, Nadine et Wild Theme from Local Hero). En novembre 1993, sort une compilation qui regroupe le meilleur de ses musiques de films.
Renaissance
1996 signe l'année de son grand retour mais cette fois, en solo ! Un premier album qui nous offre une palette d'univers musicaux qu'il vénère, avec l'apport d'instruments qui aurait été incompatible avec Dire Straits (Bouzouki, violons…). L'influence de la musique celtique se fait sentir (Mark est né en Ecosse...). Elle est traduite par la participation de musiciens irlandais. D'ailleurs, une partie de ces musiciens est issue des Chieftains, un groupe folk irlandais. Mark ayant participé à leur album, The Long Black Veil en 1995... Il n' y a pas de hasard. Dès l'ouverture de son nouvel album, Mark délivre un message à ses fans avec une introduction celtique sur le premier titre, Darling Pretty, une ballade Country Folk teinté de Rock. Mark décide à présent de partager ses influences celtiques et folkloriques qu'il a connu dans son enfance. Par le passé, il n'avait pu le faire qu'à travers ses bandes originales de films (Cal, Local hero).
Les paroles de cette première chanson évoque aussi sa future femme qu'il épousera quelques mois plus tard...Bref, Mark Knopfler donne le ton. Il s'agit pour lui d'annoncer une nouvelle vie, une nouvelle ère. Dans ce premier opus appelé 'Golden Heart', on observe aussi que Mark veut ralentir le tempo. Certes, il y a des accents de Dire Straits mais on sent bien qu'il veut s'en éloigner, avec nombre de ballades. Outre la qualité sonore, Mark travaille aussi les arrangements vocaux. Les sessions ont eu lieu sur une longue période qui s'étale entre 1994 et 1996. Du groupe Dire Straits, il ne reste plus que Guy Fletcher. Mark avait commencé à composer en Irlande en 1994 et deux sessions avaient eu lieu sur place avec des musiciens irlandais que son ami Paul Brady avait réuni. A la demande de Mark, il y aura également les contributions de musiciens américains à Nashville ainsi que d'un quatuor à cordes, Electra String. A noter que, pendant les sessions, est enregistré une première version d'une chanson appelé (The)Speedway at Nazareth mais qui verra seulement le jour sur son deuxième album, Sailing To Philadelphia (sorti en 2000).
Le 15 avril, Mark Knopfler enregistre dans le studio de télévision de la BBC, un concert spécial appelé An Evening With Mark. Cette avant-première comprend une formation élargie. On y découvre ce que fera désormais Mark dans tous ses concerts en solo, à savoir un mix avec des titres de son nouvel album, ainsi que des morceaux connus de Dire Straits, mais aussi des thèmes de musiques de films qu'il a composé. Ce Live sort quelques semaines plus tard en vidéo (VHS et Laserdisc) sous le titre A Night in London et il faudra attendre 2003 pour voir une sortie DVD.
La véritable tournée commence le 26 avril, en Irlande. On y retrouve une setlist proche de l'émission de la BBC. Six concerts diffusés sur les ondes radio en témoigneront, comme celui au Royal Albert Hall du 26 mai sorti en bootleg sous le nom de Swinging golden hearts. Il n'y aura seulement que 84 concerts dans 66 villes, uniquement en Europe. Bien loin d'une tournée mondiale et marathon qu'offrait Dire Straits...
Cette nouvelle formation comprend alors Guy Fletcher (claviers), Richard Bennett (guitare), Glenn Worf (basse), Chad Cromwell (batterie) et Jim Cox (claviers). Une bande qui sera plus tard connu des fans sous le nom de 96-ers. L'année suivante, Mark Knopfler fait à nouveau appel à quelques musiciens 96-ers pour des sessions d'enregistrement à Nashville et Londres. Il s'agit de réaliser les bandes originales de deux films : Metroland et Wag The Dog. Dans le même temps, Mark se projette aussi déjà sur son second album solo. En mai 1997, il choisit de reformer les Notting Hillbillies pour une petite tournée en Angleterre.
Le 15 septembre 1997, il participe à un concert au profit de l'île de Montserrat dévastée par les éruptions volcaniques. Il y reprend plusieurs titres de Dire Straits en étant accompagné par d'autres pointures comme Eric Clapton qu'il rejoint aussi sur sa chanson Layla.
En janvier 1998, il est à nouveau papa, pour la troisième fois, d'une petite Isabella. Fin juin de cette même année, Mark participe à nouveau aux Chet Atkins Musician Days qui ont eu lieu à Nashville. Il est accompagné des musiciens de la tournée de 1996 et joue notamment quelques titres de Dire Straits comme Setting Me Up, Romeo And Juliet, When It Comes To You et Sultans Of Swing. Au fil du temps, Mark continuera de tracer sa route. Désormais, c'est lui qui imposera son rythme, il deviendra le maître du temps. Suivront ainsi huit autres albums, des tournées, concerts de charité, collaborations, musiques de films...
Anti-Rock Star Voilà donc 25 ans que Mark Knopfler a entamé ce nouveau chapitre en solo.
Avec une discographie bien plus prolifique qu'avec Dire Straits, on ne peut qu'admirer aujourd'hui son immense talent de songwriter, avec une oeuvre plus personnelle où s'est affirmé son âme celtique. Un style d'écriture également inspirée par un de ses maîtres, Bob Dylan. Tout comme le chant dont il avait repris le phrasé, semi-parlé.
Certains considèrent aussi que Mark est un grand vulgarisateur de la musique populaire américaine.
Il restera bien sûr reconnu sans conteste comme l’un des plus grands guitaristes de la fin du XXe siècle. Il est ainsi classé 27e dans le dans le classement des meilleurs guitaristes de tous les temps par le magazine Rolling Stone. Un jeu tout de suite reconnaissable, unique, avec un style de guitare très aérien et une technique de Finger Picking (cordes grattées avec les doigts, sans médiator).
Pour beaucoup, il est représenté comme L'homme à la Stratocaster rouge, et sera à jamais associé au nom de Dire Straits avec ses 140 millions d'albums vendus.
En 2018, le groupe fut intrônisé au Rock and Roll of Fame, « le Musée et le Panthéon du Rock and Roll », une institution qui conserve et archive les moments les plus significatifs des plus grands artistes de Rock. Mark n'a jamais souhaité venir à la cérémonie, se sentant peut-être très peu concerné par toutes ces mondanités. En 2015, Il répondait aux questions d'un journaliste, à l'occasion de la sortie de son huitième album, Tracker. Avec une fin d'interview qui résume bien son état d'esprit :
" - Pourquoi ne reformez-vous pas Dire Straits ?
Si je le faisais pour un concert de charité, la pression serait énorme. Les sollicitations suivraient en cascade. On nous proposerait une tournée, un nouvel album et on reviendrait au cirque dont je ne veux plus.
- Vous avez mal vécu votre succès ?
Non, j'ai adoré. Mais Dire Straits était devenu trop gros. Lors de notre dernière tournée des stades, en 1993, nous avions trois scènes et tant de camions que je ne connaissais même pas tous ceux qui travaillaient pour nous.
- Dire Straits, c'est donc fini ?
La seule raison des reformations de groupes est financière. Et cela ne m'intéresse pas.
- Vous êtes une anti-rock star ?
J'espère bien ( rires )."
Lors de sa dernière tournée mondiale en 2019, Mark Knopfler a annoncé ses adieux à la scène. Peut-être en partie à cause de ses soucis de santé qu'il traîne depuis un moment... Lors de cette tournée, on le découvre très affaibli dans ses déplacements, et l'on devine le port du ceinture lombaire. Les conséquences d'un accident de moto survenue le 17 mars 2003, où Mark est renversé par une voiture à la veille d'une répétition pour la tournée à venir ; cette dernière sera annulée. Et sur la tournée 2010, suite à un problème de sciatique, on notera que Mark avait fait tous ses concerts assis. Des fans considèrent également que cet accident lui aurait faire perdre de la dextérité à la guitare, son jeu s'en trouvant modifié, voire ralenti. On peut aussi l'expliquer par l'âge, l'arthrose et le manque d'exercices dont Mark ne s'est jamais caché. Malgré cela, son jeu reste toujours magique ! Lors de ses mêmes adieux à la scène, le maestro nous fait tout de même savoir qu'il continuera à écrire des chansons. Pour notre plus grand plaisir. Ne doutons pas que Mark Knopfler ne s'arrêtera pas de sitôt et qu'il va nous partager à nouveau quelques trésors dont lui seul détient le secret.
(W1RS, 2021)