Rencontre avec Yazid Manou, reconnu comme le plus grand spécialiste français de Jimi Hendrix.
Bonjour Yazid, tout d'abord, pourriez-vous nous raconter la première fois que vous avez écouté Jimi ?
Je n’ai rien ressenti de particulier la toute première fois. C’était en janvier 1977 quand je l’ai découvert dans le programme télé « Point chaud » d’Albert Raisner et présenté par le guitariste Claude Ciari, par un extrait du concert de Berkeley en fin d’émission. Mais le véritable choc vint deux mois plus tard lorsque mes parents m’ont offert à mon anniversaire le double album Electric Ladyland. Une sensation forte m’a traversé le corps durant les premières secondes de « Voodoo Child » lorsque la guitare se mêle à la voix juste après les 90 secondes de la déflagration « And The Gods Made Love ». Ma vie n’a plus été la même depuis !
- Pourquoi y-a-t-il toujours autant de ferveur, même plus de 50 ans après sa mort ?
Jimi Hendrix est pour moi la définition type du mot cool ! Mais c’est surtout son statut éternel du guitariste le plus influent (la guitare restant l’instrument roi). Sa musique est toujours aussi actuelle, ses titres sont constamment repris, ses riffs demeurent reconnaissables entre tous. Sans parler de son appartenance au club des 27 (qui marquent toujours les esprits). Sa mort suscite encore d’interminables débats. Mais c’est véritablement sa musique que je mettrai en priorité pour expliquer cette longévité.
- Comment pourrait-on définir, en quelques mots, son jeu de guitare inimitable ?
Jimi fait partie des précurseurs du hard rock. Il a mêlé à merveille le blues et le rock avec la maîtrise des pédales d’effets et de l’amplification. Son expérimentation du son a fait des milliers d’adeptes sur toute la planète.
- Aux yeux du grand public, pensez-vous que le fait de jouer avec les dents, ou même de brûler sa guitare, a contribué grandement à sa notoriété, autant que sa musique ?
Il est évident que sa gestuelle aura considérablement marqué son image. Bien sûr que le jeu avec les dents est indéniablement sa marque de fabrique. Il n’a pas été le premier à le faire mais c’est lui dont tous se rappellent sans exception. Un des points déterminants au lancement de sa carrière est le final du Monterey Pop Festival avec le sacrifice de sa Strat’ peinte (bien qu’il n’ait répété cet acte qu’à trois reprises sur près de 530 concerts). Il regrettera par la suite que le public n’attende de lui que ses « excentricités » qui ont aidé à sa popularité. Mais dès ses débuts, il a vu les réactions très positives du public lorsqu’il lui était donné l’occasion de faire le spectacle. C’est de cette façon qu’il fut par exemple repéré par Johnny Hallyday qui lui fit faire ses toutes premières dates avec son trio l’Experience en octobre 1966.
- Il y a eu récemment la sortie d'un album Live inédit mais aussi trois livres, dont une bande dessinée à laquelle vous avez participé ?
J'ai participé à la rédaction de cette BD sur Jimi Hendrix pour l'éditeur Petit à Petit etait parue en septembre 2022 à l'occasion des 80 ans du musicien. Cet ouvrage était sorti à l'origine en 2010 réalisé par un collectif de 27 dessinateurs mais il ne comportait pas de textes documentaires. J'ai donc ajouté 42 pages correspondant à une biographie du guitariste. C'est la première fois que je faisais ce genre d'exercice, il fallait donc que le résultat soit le plus sérieux possible. J'ai tenu à rendre le texte agréable et intéressant aussi bien pour les fans que le grand public. La BD s'est vendue à plus de 3500 exemplaires ce qui m'a-t-on dit est un très bon score !
- Quelle est votre anecdote préférée sur Jimi ?
Très difficile de citer une anecdote en particulier. J’ai en beaucoup trop en tête maintes fois racontées mais j’aime bien celle largement méconnue où à ses débuts à Seattle (1961), il venait avec sa guitare et se trimballait avec son ampli au Spanish Castle Club et se tenait toujours prêt, à l’affût, à jouer dès que l’ampli « officiel » d’un groupe se détériorait. Les organisateurs n’avaient pas d’autre choix que de l’appeler à la rescousse ! Cela montrait déjà sa grande détermination pour monter sur la scène.
- Peut-on s'attendre, à l'avenir, à de nouvelles sorties ?
Il y a toujours les surprises, exactement comme ce tout récent live au Hollywood Bowl le 18 août 1967, qu’absolument personne ne soupçonnait puisqu’il ne figurait même pas dans le circuit des pirates. Mais la sortie que tous les fans attendent est le fabuleux concert en vidéo du 24 février 1969 au Royal Albert Hall qui est probablement un des plus piratés. L’audio est connu mais seule une partie des images circulent sous le manteau. Ce show contient les meilleures versions de nombreux titres tels « Little Wing », « Stone Free », « Room Full of Mirrors » ou « Voodoo Child (slight return) ». Une version totalement inédite du concert a été projetée au Royal Albert Hall le 21 octobre 2019, j’y étais et j’en tremble encore. Un interminable imbroglio juridique entre deux clans empêche jusqu’à présent une sortie officielle (audio et vidéo). Cela fera 55 ans cette année. L’estate nous réserve peut-être une surprise pour 2029 !
- D'après vous, pourquoi n'y-a-t-il jamais encore eu de vrai Biopic ?
Le seul biopic qui a existé est le film « All Is By My Side » de John Ridley sorti en 2013. Ce fut un échec total (600000$ de recettes mondiales). Il fut publié directement en DVD en France. Je m’étais occupé de la promo à la demande insistante d’Universal Pictures et j’avais même refusé de faire des projections pour la presse ! Malgré la présence du rappeur Andre 3000 (du groupe Outkast) dans le rôle principal, le film de presque deux heures se situe avant la célébrité du guitariste (le réalisateur n’ayant pas obtenu l’autorisation d’utiliser la musique originale…) et contient de longues scènes de dialogues très ennuyeux. A oublier malheureusement. Le seul espoir réside maintenant dans une décision de la seule décisionnaire, Janie Hendrix, sa sœur adoptive. Mais elle a systématiquement refusé tous les projets qui lui parvenaient et le problème reste son désir de tout contrôler et surtout son côté révisionniste (pas de drogue, etc.). On sait que Jimi n’était pas un saint et l’image qu’elle voudra imprimer de Jimi inquiète les fans. Espérons que l’avalanche de biopic musicaux (Freddie Mercury, Bob Dylan, Elton John, Bob Marley, Elvis Presley, Amy Winehouse…) change la donne.
- Un hommage musical vient de se créer en France, un excellent Tribute entièrement féminin : Electric Ladyland. Qu'en pensez-vous ?
J’avais déjà eu l’idée d’un concert du même nom en 1991 où j’avais contacté entre autres Chrissie Hynde, Elli Medeiros, Jennifer Batten, Wendy & Lisa, etc. mais j’ai dû abandonner le projet faute de sponsors. C’était l’année de la guerre du Golfe…Toutefois un spectacle sur le même principe a eu lieu à « moindre échelle » dans ma ville de Fontenay-sous-Bois 6 décembre 1991 avec Christine Lidon et Carol Miles accompagnées par le tribute band suisse More Experience. Je n’ai pas assisté au concert du projet organisé par le festival Blues autour du Zinc l’an dernier à Beauvais. Mais c’est une excellente initiative de la part de son directeur Laurent Macimba que je félicite pour sa pugnacité.
- Si Jimi était encore vivant, jouerait-il toujours la même musique ?
C’est la grande question de savoir ce que Jimi Hendrix produirait comme son aujourd’hui. Je n’en ai aucune idée. J’ai du mal à l’imaginer âgé à vrai dire ! Mais les sonorités du jazz l’intéressaient. Les rencontres avec d’autres musiciens également. Il n’aurait pas été insensible aux progrès technologiques, on peut donc continuer à fantasmer sur les collaborations possibles et toutes les sollicitations qu’il aurait reçues…
- Quels sont vos titres préférés de Jimi ?
Cela change tous les jours !! « Castle Made Of Sand », « All Along The Watchtower », « Remember », « 51st Anniversary », « If Six Was Nine », « Red House », « Midnight Lightning », « Machine Gun », « Voodoo Child », « Rainy Day, Dream Away », « A Merman I Should Turn To Be », « My Friend », « Straight Ahead », « Hey Baby »…
- Pour terminer, si vous deviez définir Jimi en un seul mot, ce serait lequel ?
God !
"Jimi Hendrix en BD"
120 pages
Septembre 2022
Éditions Petit à Petit
La BD est devenue très difficile à trouver (elle n’a pas été réimprimée). La librairie Parallèles (47 rue Saint Honoré 75001 Paris) en possède toujours. Ne pas hésiter à les contacter : 01 42 33 62 70.
(crédit photo : Maho)